
La défiance envers les médias…
La défiance s’est installée parmi une part importante de la population envers les médias traditionnels, c’est un fait indéniable depuis plusieurs années. Selon les résultats de l’Eurobaromètre 88 d’Eurostat de la fin d’année 2017, 47% des Européens font « plutôt confiance » à la presse écrite contre… 47% qui n’ont, eux, « plutôt pas confiance ». La sentence est quasi la même pour la télévision : 51% des sondés disent avoir « plutôt confiance » contre 45% qui n’ont « plutôt pas confiance ». Ces résultats semblent être relativement stables d’année en année.
Alors qu’on pourrait imaginer la confiance de ceux qui n’ont « plutôt pas confiance » dans les médias traditionnels s’est reportée sur internet et les réseaux sociaux, il n’en est rien. La confiance envers internet se situe à 34% et la défiance à 51% tandis que les réseaux sociaux ne bénéficient de crédits qu’auprès de peu d’Européens. Seulement 20% estiment en effet qu’ils sont dignes de confiance et 62% indignes.
Si la moitié des Européens ne font plus confiance dans les médias traditionnels et que dans le même temps, ils ne font pas plus confiance à internet et aux réseaux sociaux, comment expliquer cette défiance envers les médias ?
… suit le clivage politique et idéologique
Un autre fait indéniable est le clivage politique et idéologique qui s’installe depuis 40 ans au sein du monde occidental et qui, progressivement, remplace la traditionnelle opposition gauche/droite en France, whigs/torries au Royaume-Uni ou encore démocrate/républicain aux États-Unis. Ce clivage est celui des gagnants-ouverts/perdants-fermés de/à la mondialisation.
Très polarisé, ce clivage a été marqué récemment lors du mouvement des gilets jaunes. Le soutien accordé à ceux-ci est plus élevé chez les détenteurs d’un BEP (diplôme de fin de secondaire à orientation professionnelle) ou d’un CAP (équivalent de l’apprentissage en Belgique) tandis que l’opposition au mouvement est très élevée chez les diplômés universitaires et de grandes école. Ce même clivage s’est analysé au moment de l’élection d’Emmanuel Macron, de Donald Trump ou lors du Brexit. Plus que la classe sociale, le niveau de formation est l’élément déterminant à partir duquel un individu va se situer, à son insu la plupart du temps, dans le camp des gagnants ou des perdants.
Une analyse bien venue
« Fautes d’ignorance », « erreurs de vocabulaire, de grammaire, d’orthographe qui peut parfois induire une distorsion des faits », « approximations », « erreurs d’identification », « confusions », « de manière générale, manifestation d’un manque de rigueur ». Ces remarques, on les penserait attribuées à des médias alternatifs ou étrangers, tels que Russia Today, TVLibertés ou Boulevard Voltaire.
Du tout. Elles sont tirées du rapport intitulé Pour une information libre et responsable de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information (DOI). Le DOI regroupe des associations et syndicats de journalistes professionnels (Reporters Sans Frontières, École Supérieure de Journalisme de Lille, etc.), des entreprises et syndicats d’entreprises de médias (AFP, Europe 1, France Télévisions, Le Monde, etc.) et des associations représentants le public (Institut Confianes, Médias et diversité, etc.). Ce rapport a été peu médiatisé et pourtant, il mérite d’être porté à la connaissance.
Dans ce dernier, des conclusions accablantes pour les médias traditionnels français, généralistes et d’information, se font jour. Ces médias sont pointés du doigt pour être dans plusieurs cas des « relayeur de rumeurs avec un risque réel d’emballement ». La démonstration est faite que « des journalistes n’hésitent pas à remodeler la réalité en opérant des mises en scène de séquences scénarisées, jouées par des acteurs recrutés pour les besoins du reportage » tout en s’interrogeant sur le rôle du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui tend à « se considérer comme le gendarme ou le censeur des médias audiovisuels ».
Depuis quelques années, Ingrid Riocreux s’intéresse aux médias et plus exactement, au langage médiatique. Docteur en langue et littérature françaises, spécialiste de rhétorique, stylistique et grammaire, Ingrid Riocreux est professeur agrégé de lettres modernes sortie à la Sorbonne et déjà l’auteur de deux ouvrages éclairants. Auteur de La langue des médias : Destructions du langage et fabrication du consentement et de Les marchands de nouvelles. Essai sur les pulsions totalitaires des médias, elle a décidé de mener une analyse critique du discours médiatique, tout en refusant de jeter la suspicion sur le monde journalistique.
Tout est dans le verbe
Tout au long de ce très long travail documenté, cette dernière ne cesse de souligner l’importance des mots dans le discours. Ainsi, un journaliste décidera de qualifier un essayiste (« auteur d’un ouvrage regroupant des réflexions diverses ou traitant un sujet qu’il ne prétend pas épuiser », ce qui démontre une démarche intellectuel) de polémiste (« personne qui créée des débats plus ou moins violents, vifs et agressifs » mais surtout illégitimes, qui n’ont pas lieu d’être, ce qui démontre une démarche purement provocatrice pour attirer l’attention et faire parler de soi). De la même façon, lors d’incidents externes à une compétition sportive, les journalistes qualifieront les auteurs de « pseudo supporters » … alors que ceux-ci sont très souvent des supporters ayant commis des infractions. C’est également vrai pour les artistes dont on réprouve les pratiques, présentés comme des « pseudo-artistes » alors que cela reste leur activité principale, que l’on apprécie ou pas.
Les médias ont également tendance à abuser de certains termes pour décrire des situations totalement différentes. Ainsi en est-il du mot « dérapage » qui est à la fois utilisé dans le cas d’une provocation d’un joueur envers les supporters de l’équipe adverse, d’une insulte d’un joueur à son entraineur, d’un joueur frappant un supporter adverse, d’un joueur ne se présentant pas à l’entraînement, d’un joueur refusant sa sélection nationale. Cela revient à mettre sur le même plan un refus inattendu, une insulte et une agression physique.
Dans un autre ordre d’idées, en 2016, la plupart des médias ont titré « Alep est tombée aux mains du régime Assad » pour signifier que l’entrée des troupes gouvernementales syriennes dans la ville. Or la ville, avant le conflit, faisait partie intégrante de la Syrie. L’expression « neutre » est « reprise par ». Tout comme la région de la Ghouta orientale a été désignée comme « une enclave rebelle ». Ce terme est souvent employé pour désigner une région isolée, administrativement délaissée par les pouvoirs publics, oubliée. Dans le conflit syrien, enclave devient synonyme de poche de résistance. De plus, le terme « rebelle » a été employé de façon générique pour qualifier tous les groupes d’opposants à Bach El Assad. Or, parmi ceux-ci, il y a les FDS (alliance arabo-kurde soutenue militairement par les pays occidentaux), l’ex-front Al Nosra (créé par le groupe terroriste Al Quaïda) et de nombreux groupes armés islamistes. Une confusion s’installe au moment de décrire l’action sur le terrain.
Tout au long des 524 pages, Ingrid Riocreux présente de nombreux cas et exemples fouillés qui, s’ils ne sont pas forcément volontaires, tendent à donner l’impression au lecteur qu’une orientation idéologique est donnée à des informations qui se veulent objectives. Son principal enseignement est d’aller chercher la cause d’une remise en cause des médias dans le discours médiatique même et de sa perception par le lecteur.
De l’importance de l’éducation aux médias
L’éducation aux médias ne doit pas se résumer à énumérer une liste d’organisme de presse ou audiovisuels dont les informations seraient « acceptables », « fiables » ou encore « autorisées ». L’éducation aux médias doit avant tout se centrer sur une analyse du vocabulaire et du discours employés. Derrières des formules toutes faites se cache une réalité à laquelle le lecteur doit accéder. En offrant aux jeunes le droit de s’exprimer librement, sans chercher à se substituer à leur parole, nous accédons à leurs réalités, à leurs façons de voir le monde. Ces réalités sont multiples, aussi multiples que notre société qui ne cesse de se fragmenter.
Il en est ainsi des marches pour le climat et du slogan « la jeunesse se mobilise pour le climat ». Cette formule toute faite semble aujourd’hui voler en éclat car il semblerait qu’une petite partie seulement de la jeunesse prenne réellement part à ce mouvement. Où se situe la réalité ? Pourquoi ce mouvement est-il présenté comme un évènement extraordinaire et une volonté unanimement partagée ? Pourquoi la parole n’est-elle jamais donnée à des contradicteurs ? Pourquoi une analyse critique n’est-elle pas réalisée lorsqu’un professeur d’université fait l’objet d’un véritable harcèlement sur les réseaux sociaux pour avoir émis une hypothèse, qu’il a lui-même modifié par la suite, contraire à l’opinion commune sur les voitures électriques ?
Certaines de ces réalités peuvent faire peur, choquer une partie d’entre nous et briser certains idéalismes et utopies mais ces réalités existent malgré nous. Les nier, c’est refuser d’en comprendre l’origine et les causes profondes. C’est déjà en donner une orientation.
Conclusion
De la même manière, une analyse du discours dominant au sein du secteur jeunesse est nécessaire. Comment la formule « le secteur jeunesse est sous-financé » peut-elle continuer à être véhiculée à l’heure actuelle alors que le budget a plus que doublé en 10 ans pour atteindre 24,5 millions d’euros en 2017 pour 100 opérateurs ? Pourquoi le débat autour du numérique provoque-t-il tant de résistances dans notre secteur à l’heure de la digitalisation ? Pourquoi la mobilisation contre la réforme APE a-t-elle été présentée comme une position unanime des secteurs associatifs et publics pour ne rassembler finalement que 10.000 personnes lors de la dernière manifestation alors que 65.000 bénéficiaires sont potentiellement concernés ?
Si le secteur jeunesse est réellement diversifié, l’heure est arrivée de donner voix à des discours hétérodoxes, qui suscitent vraiment le débat, loin des formules toutes faites avec toujours cette volonté de chercher le réel.
Bibliographie :
Fourquet J., L’archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée, Paris, Seuil, 2019.
Riocreux I., Les Marchands de nouvelles. Essai sur les pulsions totalitaires des médias, Parisn, L’Artilleur, 2018.