
Au XIXe siècle, on a craint que la presse bon marché permette aux journaux partisans d’étendre leur influence. Au XXe siècle, on a craint que la radio et la télévision ne réduisent les débats politiques à des slogans, des personnalités charismatiques ou « télégéniques ».
Détectée durant la dernière campagne présidentielle américaine, la prolifération des discours partisans, la rhétorique partisane de certains organismes de presse et l’avalanche d’opinions online ont atteint un niveau jamais égalé auparavant.
Alors que les débats présidentiels ont attiré un nombre record de téléspectateurs, il est apparu rapidement que la couverture médiatique s’est beaucoup plus penchée sur les points de vue des candidats que sur les problèmes soulevés. Par ailleurs, des faits avérés et relayés par les médias traditionnels se sont très vite vus retournés et détournés. Ces dérives résultent directement de nos habitudes : temps passé sur internet plus long, notamment sur les réseaux sociaux où nous évitons les opinions contraires, et société de plus en plus polarisée et méfiante.
Les fakes news sont de fausses nouvelles qui perpétuent le ouï-dire, les rumeurs et la désinformation et qui ont été réalisés dans un but intentionnel : induire le lecteur en erreur.
Certaines fake news peuvent conduire à l’irréparable. Le 4 décembre 2016, Edgar Welch, âgé de 28 ans se rend armé d’un fusil à la pizzeria Comet Ping Pong pour « libérer » les enfants qui se trouvent dans le restaurant. Ne trouvant aucune trace des enfants ni aucune preuve, Welch finit par se rendre à la police. Le cas du pizzagate est emblématique : à partir des e-mails publiés par Wikileaks en novembre 2016, une théorie conspirationniste émerge sur les réseaux sociaux. D’après celle-ci, des membres de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton seraient impliqués dans un réseau pédophile en lien avec le gérant d’une pizzeria. Les rumeurs, parties du site web communautaire Reddit, ont pris des proportions considérables car de plus en plus de citoyens ont contribué à leurs théories et à leurs interprétations sur les réseaux sociaux traditionnels.
D’une certaine façon, la presse traditionnelle a légitimé le pizzagate par ses tentatives d’exposer les faits derrière l’histoire pour répondre à la grande polémique naissante sur les réseaux sociaux. Parallèlement, des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump ont relayé cette fake news. Par ailleurs, il est apparu qu’un contenu important (Allcott et Gentzkow ont en relevé 156 durant les 3 derniers mois de la campagne) de fake news a été créé à propos des candidats présidentiels. Dans 3 quarts des cas, ils étaient consacrés à Hillary Clinton et partagé 3 fois plus que ceux visant Donald Trump (30,3 millions de fois contre 7,6 de fois selon Allcott et Gentzkow).
Il pourrait y avoir plusieurs explications possibles pour une prépondérance des fakes news pro-Trump. Le déclin plus marqué de la confiance dans les médias traditionnels parmi les républicains pourrait avoir augmenté leur demande relative de nouvelles provenant de sources non traditionnelles, de même que la perception que les médias traditionnels ont tendance à favoriser Clinton. Les fake news Pro-Trump (et anti-Clinton) auraient été plus convaincantes que les histoires pro-Clinton (et anti-Trump) en raison des détails de ces candidats, peut-être liés aux niveaux élevés d’attention médiatique que Trump a reçu tout au long de la campagne.
Toutefois, Allcott et Gentzkow suggèrent que si une fake news était aussi convaincante qu’une publicité durant la campagne télévisée, les fake news auraient changé les votes de l’ordre de centièmes de point de pourcentage. Ce qui est beaucoup plus faible que la marge de victoire de Trump dans les États clés sur lesquels dépendait le résultat.
L’espace politique belge est aussi confronté au phénomène. Une fake news a circulé au mois de mai sur les réseaux sociaux par le cdH indiquant par la voix du président du Parlement de Wallonie, André Antoine, que le Gouvernement fédéral voulait empêcher certains Belges de devenir propriétaires en durcissant les conditions d’octroi des prêts hypothécaires. Bien que l’attitude du gouvernement fédéral soit restée un moment floue, le parti centriste a exagéré la situation. Il n’est pas du ressort du Gouvernement de prendre ce genre d’initiatives mais il s’agit d’une prérogative de la Banque Nationale de Belgique qui demande aux banques de garder un peu plus de fonds propres.
Mais les fake news ne font pas des dégâts uniquement aux politiques, les entreprises aussi sont touchées. Une dizaine de sociétés américaines ont dû faire face à un accroissement des fake news à leur égard. Début août, une rumeur se propage sur les réseaux sociaux affirmant que la célèbre marque de café offrait des « Frappuccinos » gratuitement à des clandestins. Au printemps déjà, Microsoft avait été visé par un article « révélant » la mort d’un adolescent, tué par sa Xbox. Dans le domaine économique, le but clairement identifié des créateurs de fake news est d’en exploiter les répercussions financières.
Pourquoi les réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux fonctionnent comme écosystème de médias numériques où « les usagers comptent les uns sur les autres pour transmettre des informations incroyables au momentmême où les faits se produisent ». La propagation de l’information associée au pizzagate a été propagée par un ensemble de facteurs – technique, économique, structurel et basé sur le contenu – qui soutiennent collectivement un environnement où le partage et le contenu publicitaire sont primordiaux.
Créer du contenu sur les réseaux sociaux est une opération qui demande très peu de moyens pour réaliser beaucoup de résultats. Ces structures, reposant sur des algorithmes complexes, fournissent un espace ouvert pour que les individus partageant les mêmes opinions se retrouvent autour d’une idée, d’une théorie ou d’un complot et appuient un ensemble de croyances et d’idées partagées de toutes les façons possibles. Le format des réseaux sociaux, sur un écran de smartphone ou même parfois sur un écran d’ordinateur, ne permet pas de facilement juger de la véracité de l’article.
Quels sont les effets des fake news sur l’attitude de leurs lecteurs face à la politique ?
Tout d’abord, concernant l’efficacité politique, à savoir les croyances sur sa propre compétence pour comprendre et participer efficacement à la politique, les études sont partagées sur la question. Certaines affirment qu’il n’y a aucune interaction. D’autres démontrent qu’une exposition aux fake news augmentent l’efficacité politique en accroissant la perception des consommateurs de fake news que le monde complexe de la politique leur est tout à fait abordable.
Quant à l’aliénation politique, c’est-à-dire la perception d’être incapable d’influencer ou de contrôler les politiques publiques, certaines études démontrent que la consommation de fake news est associée à un haut niveau d’aliénation.
Enfin, des études ont suggéré que l’exposition élevée aux « nouvelles stratégiques[1 el_id=’59ad0eca6209d’] » lors d’une campagne électorale entraîne une augmentation du cynisme politique. Le cynisme politique envers les politiciens indique que les citoyens sont mécontents des politiques et du travail du gouvernement. Cette frustration peut s’exprimer en croyant que les politiciens s’occupent davantage de leur intérêt personnel que des intérêts supérieurs du pays, que les promesses de campagne sont faites sans intention d’être conservées. En conséquence, les cyniques ont tendance à faire des évaluations négatives des habitudes de travail, de l’honnêteté et de l’intégrité des politiciens.
Quel est leur impact ?
Une récente étude américaine (Gottfied and Shearer, 2016) démontre que si une majorité des adultes américains (62%) consultent les informations à partir des réseaux sociaux, seule une minorité (34%) des adultes utilise les informations qu’ils reçoivent des médias sociaux de façon «certaine» ou «intensive».
Comment réagir ?
En pratique, les plateformes de réseaux sociaux et les réseaux de publicité ont fait face à des pressions des consommateurs et de la société civile pour réduire la prévalence de fake news sur leurs systèmes. Par exemple, Facebook et Google éliminent les sites de fake news de leurs plates-formes publicitaires au motif qu’elles violent les politiques contre les contenus trompeurs. En outre, Facebook a pris des mesures pour identifier les contenues de fake news, les signaler, afficher moins d’articles potentiellement faux dans les flux de nouvelles des utilisateurs et aider les utilisateurs à éviter de partager accidentellement de faux articles en leur notifiant le risque de fake news avant de la partager. Ces actions peuvent permettre de réduire leur propagation mais leur identification également des questions importantes quant à l’organisme chargé de réaliser cette identification.
Dans le cas des entreprises visées, la solution passe par la collaboration avec des sociétés spécialisées dans l’e-réputation pour conserver leur image de marque. Dans certains cas, les dégâts peuvent être très importants…
Le rôle des jeunes et des OJ
Lors d’une étude auprès de collégiens américains, une équipe de l’Université de Stanford en est arrivé à la conclusion que les jeunes sont souvent perdus lorsqu’il s’agit de déterminer la fiabilité d’un article en ligne. La très large majorité ne savait pas faire la différence un article publicitaire présenté comme un « contenu sponsorisé » et un article de presse publiés sur le même site Internet ou jugeait un tweet sur l’actualité crédible en se basant davantage sur la richesse du contenu. Dans de nombreux cas, l’apparence de véracité suffit à les duper.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’usage du smartphone parmi les jeunes de 12 à 18 ans est très répandu, YouTube et Facebook étant les plateformes les plus utilisées. Très peu de jeunes connaissent le principe de « contenu sponsorisé ». D’après des résultats observés en Suisse, les portails vidéo et les réseaux sociaux rejoignent désormais les moteurs de recherche en tant que canaux d’informations utilisés par les jeunes de 12 à 19 ans, particulièrement chez les 12-13 ans. Le sujet est aussi pris sérieusement en compte en France. Le Centre pour l’Éducation aux Médias et à l’Information (CLEMI), en partenariat avec le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de la Culture ainsi que des institutions académiques, a publié en 2017 un guide de 100 pages offrant de nombreux conseils aux parents afin de développer l’esprit critique de leurs enfants.
Pour contrer ces phénomènes, outre les dispositions prises par les fournisseurs d’accès et par les réseaux sociaux, des solutions existent, à commencer par les fact checking. Ces sites vérifient les nouvelles qui leur sont soumises en recroisant les informations. En Belgique, HOAX-NET est devenu une référence en la matière. Le site du journal Le Monde propose également son site de fact checking « Les Décodeurs » et d’autres ont emboité le pas.
Les Organisations de Jeunesse jouent avec l’École un rôle essentiel dans l’éducation aux médias et le développement de l’esprit critique des jeunes. Afin d’y parvenir, les OJ s’emploient à favoriser l’expression créatrice et l’esprit d’initiative en proposant des activités et des projets qui poussent les jeunes à s’interroger et à agir. Au travers de modules d’éducation aux médias et à la citoyenneté ou au sein de projets créatifs, les OJ ne fournissent jamais de réponses préétablies. Elles agissent pour guider les jeunes vers d’autres angles de réflexion, d’autres possibilités d’action, d’autres manières d’agir. En résumé, elles tendent à élargir leur vision du monde pour que les jeunes puissent se situer par rapport à eux-mêmes mais aussi avec les autres.
Au sein de Jeunes & Libres, Délipro Jeunesse a développé depuis plusieurs années toute une gamme d’outils pédagogiques afin de sensibiliser les jeunes aux risques d’internet et des fake news. Dernièrement, a créé un module intitulé « Vivre sur les réseaux sociaux ». Lors de ce module, les jeunes sont invités à observer leur propre comportement sur la toile, les enjeux de leur réalité virtuelle et de leurs cyber activités. Délipro Jeunesse travaille également avec l’image en diffusant des photos et des vidéos qui seraient une représentation de leur quotidien sur le net afin qu’ils puissent prendre du recul par rapport à leurs automatismes. Le rôle de cette OJ est alors d’apporter aux jeunes des informations dont ils ne sont peut-être pas conscients pour qu’à l’avenir ils se comportent de la manière la plus responsable possible. Sans aucun jugement, Délipro Jeunesse les sensibilisent à prendre conscience que des faits et gestes de la vie virtuelle découlent les mêmes impacts que dans la réalité.
La Fédérations des Etudiants Libéraux a aussi réfléchi à la question. Lors de sa campagne « La FEL fait son pacte » en faveur d’une réforme du Pacte d’excellence, elle a appelé à la mise en place de modules de cours incorporant des concepts liés aux problématiques actuelles que sont le cyber harcèlement, l’utilisation des réseaux sociaux, la critique de ce qui circule sur internet ou encore le droit à l’image et ce, dès la cinquième primaire. Quant à ReForm, l’OJ s’est penchée sur l’utilisation du smartphone chez les jeunes de 12 à 18 ans et préconise la création d’actions d’information pour les jeunes, par exemple dans les établissements d’enseignement, sur les risques liées à l’utilisation du numérique tels que les atteintes à la vie privée, le harcèlement publicitaire, l’usage de données personnelles à des fins commerciales ou la détection de fake news.
L’éducation aux médias est une part intégrante de la formation citoyenne. Les OJ sont, avec l’École, au cœur de ce processus qui concerne la formation de CRACS. Pour ce faire, les jeunes doivent se sentir soutenus, entendus et outillés pour saisir le monde qui les entoure en toute conscience et responsabilité. Cet enjeu de taille doit être plus que jamais pris en compte.
Le processus ne peut se faire qu’au travers d’une démarche participative. Des résultats concrets doivent émaner des actions entreprises. Tout au long du processus, les jeunes doivent être sensibilisés par rapport à leur environnement, par rapport à leur vécu et à leur expérience. À la fin de ce processus, ils doivent être capables de sensibiliser autour d’eux afin de construire une société plus solidaire.