Certains jeunes passent beaucoup de temps à jouer à des jeux vidéo, de quoi souvent inquiéter leur entourage. Mais quand parle-t-on d’ « accros aux jeux » ? Peut-on parler de « dépendance » aux jeux vidéo ? Quelle est la situation en Belgique francophone ?
Quelle est la pratique du jeu vidéo en Belgique francophone ? Malheureusement, aucun chiffre n’est disponible ! Les auteurs de l’enquête #Génération2020, menée par Média Animation et le Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias (CSEM), qui ont interrogé plus de 2.000 jeunes de 6 à 18 ans, regrettent qu’un état des lieux davantage documenté sur les pratiques numériques des jeunes, dont les jeux vidéo, en Fédération Wallonie-Bruxelles ne soit pas disponible.
Ce n’est cependant pas le cas en Flandre et chez nos voisins français. Le Vlaams expertisecentrum Alcohol en andere Drugs (VAD), le centre d’expertise flamand pour l’alcool, les drogues illicites, les médicaments psychoactifs, les jeux d’argent et de hasard, dans une étude réalisée en 2017, avait révélé que 50% des flamands de plus de 15 ans avaient joué à des jeux vidéo le mois précédant l’enquête. Il s’agissait surtout des jeunes de 15 à 19 ans, tant des hommes que des femmes. Un quart jouait au moins 1h par jour.
En France, lors de la première enquête nationale consacrée à la pratique du jeu vidéo et réalisée en 2008, le département des Études et de la Prospective du ministère de la Culture relevait à l’époque que 35% de la population française de plus de 15 ans y avaient joué au moins une fois au cours de l’année écoulée, dont 18% au moins une fois par semaine et 6% tous les jours, et ce, sur tout le territoire hexagonal. 13 ans plus tard, le phénomène a progressé comme la société Médiamétrie, spécialisée dans la mesure d’audience et l’étude des usages des médias audiovisuels et numériques en France, le démontre dans son enquête « Le jeu vidéo, une pratique de plus en plus collective » publiée en décembre 2021. 73% des Français avouent jouer « au moins occasionnellement », c’est-à-dire une fois dans l’année, et même 58% « régulièrement », c’est-à-dire une fois par semaine. La part des hommes et des femmes est assez égale, 53% et 47%. Enfin, si l’âge moyen d’un joueur est de 38 ans, 98% des enfants jouent aux jeux vidéo.
Cette augmentation de la consommation de jeu vidéo au fil des ans ne va pas sans poser des questions sur les plans médical et social. Les autorités sanitaires nationales et internationales se sont emparées de la question. Dans le courant de l’année 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé a défini des critères permettant de poser le diagnostic d’un « trouble du jeu vidéo ». D’emblée, l’OMS a précisé que le trouble ne touche qu’une « petite minorité […] [elle] ne dit pas que toute habitude de jouer aux jeux vidéo est pathologique ». Pour l’agence onusienne, on peut parler de trouble du jeu vidéo lorsque l’on est face à « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».
Les risques ne se limitent pas à l’environnement social du joueur. Sa santé peut être en jeu. Le comportement sédentaire induit par une pratique importante entraîne des risques accrus de surpoids et d’obésité ou des maladies cardiovasculaires, une perturbation du sommeil, des problèmes de somnolence, d’attention, des troubles de l’humeur ou de l’appétit. Les risques sur le plan psychologique ne sont pas à minimiser : émotions négatives comme la frustration, l’irritation, le stress ou l’agressivité. Sur ce dernier point, le Conseil supérieur de la Santé, dépendant du Service public Fédéral de la Santé publique, estime que la littérature scientifique ne fournit pas encore de réponse univoque quant à l’influence des jeux vidéo sur l’agressivité.
Peut-on considérer pout autant tout joueur comme une personne en danger ? Non, bien évidemment. Des facteurs à risque existent, liés à la fois au joueur, au jeu et à l’environnement.
On a ainsi remarqué que les troubles relatifs aux jeux vidéo se manifestent plus souvent chez les hommes, les célibataires ou divorcés, et les jeunes. Le jeu en ligne problématique est lié à un large éventail de facteurs psychologiques et il existe une diversité de profils psychologiques à risque. L’impulsivité, l’introversion, le comportement de recherche de sensations, l’agressivité, de faibles compétences sociales, une faible estime de soi sont notamment des facteurs de risque. A l’inverse, la confiance en soi et de bonnes compétences sociales seraient quant à elles des facteurs de protection.
Les motivations pour lesquelles on joue (performance, sociabilité, gestion du stress…) peuvent aussi constituer un facteur de risque. L’utilisation intensive des jeux vidéo est en fait souvent la manifestation d’une autre souffrance à laquelle on essaie d’échapper. Le risque d’usage problématique augmente s’il s’agit de satisfaire des besoins qui ne peuvent être satisfaits dans d’autres contextes.
Les jeux eux-mêmes ont des potentiels addictifs différents en fonction de leurs caractéristiques : par exemple les jeux en ligne, les jeux multi-joueurs, les jeux de compétition et les jeux interactifs contiennent plus de caractéristiques addictives ainsi que les jeux qui offrent des récompenses ou des objets rares, ou ceux qui permettent de s’identifier à un avatar.
Certaines caractéristiques de l’environnement peuvent avoir une influence, comme la situation familiale, les difficultés à l’école, et les problèmes relationnels tels que le harcèlement. La relation avec les parents semble en particulier être un facteur important (comportement des parents par rapport au jeu, offre d’activités alternatives, pose de limites…), même si le lien de causalité n’est pas toujours clair.
Au milieu de ce tableau qui peut paraitre très noir, il faut rappeler que le jeu vidéo peut apporter, via une pratique modérée, des bienfaits. En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé, dans son avis n° 9526 de 2020 consacré aux troubles relatifs aux jeux vidéo, reconnait que les jeux vidéo sont une « manière très accessible de s’amuser et de se détendre. Le jeu peut aussi être propice au développement cognitif et socio-émotionnel des enfants et des jeunes. Parmi les exemples de compétences cognitives […] figurent la concentration, l’attention sélective, la résolution de problèmes, les compétences spatiales, la créativité. La récente revue systématique de Nuyens et al. (2019) montre aussi que l’utilisation non problématique de jeux vidéo peut avoir un impact positif sur les processus cognitifs des joueurs. D’autres effets positifs sont l’apprentissage de l’échec, des défis et des succès, la gestion des émotions, le développement de l’identité (via la création d’avatars), les aptitudes sociales (collaboration, esprit d’équipe, sens des responsabilités) et la motricité (coordination œil – main, capacité multitâches, temps de réaction).