C’est autour d’un lunch que nous avons rencontré Pierre Escojido, directeur des Jeunes Mutualistes Libéraux afin d’échanger sur sa gestion de l’asbl et sur ses 30 ans d’expertise.
Jeunes & Libres : Qui es-tu ?
Pierre Escojido : Je m’appelle Pierre Escojido et je suis le directeur des Jeunes Mutualistes Libéraux. Je ne vous dirai pas mon âge, mais en sachant que j’y travaille depuis plus de trente ans, cela donne déjà une bonne indication.
J&L : Quel est ton parcours scolaire/professionnel ?
P. E. : J’ai fait mes humanités dans un Athénée à Wavre, j’y étais en internat. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de travailler durant un an dans la bande dessinée. Par la suite, j’ai souhaité reprendre des études, mais j’ai d’abord dû passer par le service militaire, obligatoire à l’époque. Après deux ans de service civil au sein d’un asile psychiatrique, j’ai enfin pu reprendre des études à l’ULB où j’ai obtenu ma licence en santé publique. Je me suis mis à la recherche d’un job et on m’a proposé un poste au sein de la mutualité libérale. Comme j’étais jeune, on m’a aiguillé aux JML reconnus en tant qu’Organisation de Jeunesse qui proposaient des activités diverses autour d’un public jusqu’à 35 ans. C’était suffisamment varié et une partie de ce boulot, comme les formations, se déroulait à la côte belge dans nos bâtiments.
A l’époque, j’étais souvent à la mer où je faisais de la voile, j’ai donc occupé le poste.
J&L : Comment es-tu devenu directeur ?
P. E. : Nous n’étions que quatre à l’époque. Ma gestion et le travail réalisé ont, je suppose, joué en ma faveur pour un poste qui se libérait.
J&L : Peux-tu donner trois mots qui te caractérisent ?
P. E. : L’espoir, parce que je pense qu’il faut rester très optimiste et continuer à se dire que des choses vont marcher. De manière différente, mais elles vont marcher quand même. Nous défendons un modèle démocratique européen, imparfait, mais loin de la tentation autoritaire de nombreux pays à travers le monde.
L’amitié. C’est une valeur fondamentale dans ma vie, c’est quelque chose auquel je tiens.
Sans doute lié à mon passé d’interne.
Un peu désabusé, c’est un peu regarder les éléments avec un recul neutre non dénué d’intérêt, mais décalé.
J&L : Peux-tu nous dire une chose que les gens ne savent pas sur toi ?
P. E. : J’ai eu une petite société, où je fabriquais des planches à voile avec des matériaux composites. J’aimais bien l’idée de « shaper » moi-même mes propres planches pour pouvoir naviguer ensuite. Il fallait trouver les époxys , styrènes et autres fibres de carbone ,dans les années ‘80, pas si simples à se fournir et d’une qualité encore inégale.
J&L : Quelle est l’histoire des JML?
P. E. : Tout ça existait bien avant moi. Les JML ont débuté en 1964, bien avant le premier décret jeunesse qui date du début des années ‘80. Nos principaux axes sont la santé et la prophylaxie. Le bien-être de la population, et de la jeunesse en particulier, est primordial pour nous, c’est un cercle vertueux et cela réduit les coûts de sécurité sociale. Quand de bonnes habitudes sont prises, qu’elles soient alimentaires, en matière d’hygiène ou en santé mentale, cela évite de possibles futurs ennuis de santé. La Mutualité libérale a donc décidé de créer une organisation qui s’occuperait de la jeunesse en général.
Elle n’a pas été la première à le faire, mais la Mutualité libérale est quand même un des organismes les plus anciens en termes d’assurance santé. C’est une préoccupation fondamentale pour la population et donc pour son adhésion à nos valeurs libérales.
J&L : Quelles sont les thématiques sur lesquelles vous travaillez ?
P. E. : Le bien-être, la formation en règle générale et l’éducation, qui sont principalement des thématiques qui restent liées à notre objet social. On essaie également d’être un soutien. Nous organisons des gardes d’enfants malades à domicile ainsi que des cours de rattrapage.
Il s’agit d’avoir un rôle social que je trouve essentiel.
J&L : Quelles sont les valeurs des jml que tu défends ?
P. E. : Ce sont des valeurs de solidarité. C’est un élément important de pouvoir utiliser le ciment qu’il y a entre les gens, à défaut de le créer, car on ne peut pas s’en sortir seul. C’est aussi l’humanisme. Je pense que pour trouver son chemin, si tu as une bonne dose de valeurs humaines, tu es déjà mieux armé pour pouvoir comprendre, agir et corriger le cas échéant.
J&L : Peux-tu présenter une activité coup de cœur depuis que tu es directeur ?
P. E. : Les vacances « répit-famille » correspondent tout à fait à notre ADN. L’idée est de partir en vacances avec un enfant porteur d’un handicap et au moins un des deux parents. Pourquoi au moins un des deux parents ? Parce qu’il y a beaucoup de divorces au sein des couples qui ont un enfant porteur d’un handicap. C’était donc pour moi important de pouvoir offrir un moment de détente en juillet ou en août et que les parents puissent se reposer tout en ayant leurs enfants à leurs côtés encadrés par des animateurs formés. Je loue deux hôtels en Italie en bord de mer. Les parents échangent sur les difficultés, se soutiennent. Avec le temps c’est une véritable famille qui, le temps des vacances, trouve un moment d’apaisement.
J&L : Qu’est-ce que c’est, pour toi, gérer une asbl ?
P. E. : Il y a différents aspects dans la gestion : la gestion humaine et la gestion financière et administrative. Parfois, en tant que libéraux, on a plutôt tendance à s’occuper de la gestion financière avant la gestion humaine. Mais il est tout aussi important d’avoir une bonne gestion humaine qu’une bonne gestion financière. Le problème, c’est l’équilibre entre les deux. L’ASBL ressemble à une société, certaines sont d’ailleurs astreintes à la TVA. Les obligations, et c’est normal, sont quasiment celles d’une PME. La différence est que les bénéfices, si il y en a, ne sont pas distribués aux actionnaires.
La gestion humaine peut apparaître compliquée, car on est dans un cadre mutualiste qui est assez formaliste et, évidemment, une Organisation de Jeunesse trop formaliste n’a pas beaucoup d’ intérêt. C’est donc assez difficile de combiner les deux. Moi, j’essaie de pouvoir laisser un peu libre cours à la créativité de mes équipes. Mais les fonctions demandent de plus en plus de spécialisations et donc il est nécessaire d’avoir des personnes pointues.
J&L : Quel est le lien entre les JML et la mutualité libérale ?
P. E. : Notre asbl est indépendante de la mutualité. Ce sont deux entités juridiques distinctes, évidemment, il y a des liens entre nous. On discute, on échange, on se réunit. Je fais partie de certains conseils d’administration au sein de la Mutualité. Je donne mon avis et j’essaie de développer des projets.
J&L : Peux-tu présenter la structure des jml ?
P. E. : Actuellement, nous sommes seize personnes réparties dans les différentes antennes régionales en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le siège social est à Bruxelles. C’est là que je travaille avec Quentin, notre animateur ainsi que Natasha et Myriem au secrétariat national. Nous avons des délégués qui ont leurs bureaux dans chaque mutualité, nous sommes réfèrents en matière d’animations et de projets pour l’année et en fonction des objectifs. Chaque antenne régionale développe des projets autonomes. On en discute et ils se réalisent en fonction des régions, ce sont les antennes qui connaissent le mieux les besoins des publics spécifiques.
J&L : Quelle est la qualité principale pour être directeur d’une association ?
P. E. : On ne peut pas résumer ça en un seul terme. C’est un ensemble de fonctionnements. Être à l’écoute des autres est sans doute quelque chose d’important. Mais il faut être à l’écoute tout en gardant en tête les objectifs de la structure et le chemin que l’on prend.
J&L : Comment t’es-tu formé au métier de manager ?
P. E. : Je n’ai pas suivi de formation complémentaire en management. A l’époque tout était orienté commercial, « business ». Cela ne collait pas avec une structure non marchande. Maintenant c’est une évidence que la structure a rejoint le commercial et les méthodes de management sont quasiment identiques. Quelquefois pires…
J&L : Quel est ton rôle au sein de la structure ?
P. E. : J’ai eu toutes les casquettes. C’est vrai qu’à un moment donné, il faut être spécialiste dans tout. Quand je discute avec le réviseur d’entreprise, je suis censé connaître la comptabilité convenablement. Quand je discute avec un secrétariat social, il faut être pointu dans ce domaine-là aussi. Quand je négocie la location d’hôtels, il faut connaître le marché. J’ai l’impression que pour les Organisations de Jeunesse, on est un peu présents dans tous les domaines auxquels on est confrontés. Pourquoi ? Parce qu’on s’adapte et puis on se forme, on se pose des questions et on essaie de trouver les réponses.
J&L : Quelles sont les contraintes auxquelles tu fais face au quotidien ?
P. E. : Je n’ai pas trop de contraintes, mais ce sont des négociations permanentes. Il y a des contraintes, mais qui, pour moi, sont plutôt des challenges que des problèmes.
J&L : Quels sont les défis à venir au sein des jml ?
P. E. : Il faudra le demander à mon successeur. On a une assemblée générale et un organe d’administration qui ont été renouvelés quasiment à 95%. J’espère qu’il y aura de nouvelles idées, de nouveaux défis, de nouvelles orientations qui pourront nous donner du grain à moudre pour quelques temps.
J&L : Est-ce que, selon toi, le coordinateur est le gardien des engagements décrétaux de l’OJ ?
P. E. : Ça, c’est le rôle de l’inspection de la Culture et l’administration. Je ne suis pas du tout le gardien de lois édictées par d’autres personnes. Mais c’est vrai qu’en tant que légaliste, il faut respecter les engagements et se battre pour faire changer ceux qui semblent inadéquats.
J&L : Comment organises-tu ton management ?
P. E. : En essayant de développer une vision à long terme, en tenant compte des risques et des investissements. C’est une gestion qui nécessite aussi un apport intellectuel de la part des collaborateurs pour pouvoir implémenter des modifications. Avoir développé des services et des emplois depuis de longues années est déjà une réussite en soi.
Évidemment, il y a des évolutions que l’on ne peut pas véritablement prévoir. Il faudra s’adapter aux changements de législatures et de mentalités, mais la structure est saine. Il y a du personnel, du public, des objectifs. Il faut que le public réponde présent et pour cela, nous devons nous adapter à une jeunesse qui a de nouvelles demandes.
J&L : Beaucoup de jeunes participent à vos projets?
P. E. : C’est compliqué. Il faut faire face à une offre concurrente de plus en plus importante,
y compris dans le secteur marchand. Les coûts sont de plus en plus importants et il n’est donc pas toujours évident de proposer une offre accessible à tous. Cela dépend du public que nous avons.
J&L : Comment est-ce que tu géres le quotidien ? Présente-nous une journée type ?
P. E. : En fonction des rendez-vous, des liens que j’entretiens avec les formateurs ou des demandes, la journée s’agence d’elle-même. Avant, j’avais beaucoup de réunions, maintenant moins. Par exemple, j’ai délégué à Benjamin (coordinateur de Jeunes & Libres, NDLR) mes mandats Fesoj. Ces mandats découlent des JML et non de la fédération. Je lui ai tout doucement passé le relais pour plusieurs raisons. Tout d’abord, sa compétence est évidente et puis surtout, il y a un passage de flambeau qui doit s’effectuer entre les générations.
J&L : Peux-tu me parler de ton rapport avec la fédération Jeunes & Libres ?
P. E. : Jeunes & Libres est sympathique et très agréable. Chaque OJ a des activités et des thèmes divers, l’ambiance entre les membres est bonne. C’est beaucoup moins « politique » qu’auparavant. Il est important d’avoir des diversités et le mouvement libéral est un mouvement diversifié. L’aide de la fédération est précieuse, elle joue vraiment un rôle d’aide et de conseil efficace.
J&L : Quelles sont vos relations avec les autres OJ de Jeunes & Libres ?
P. E. : Cela a toujours été une question de personnes et d’opportunités. Au départ, nous étions six membres, chacun dans son secteur. On a essayé d’être unis et de voir quels partenariats étaient possibles. Il faut essayer de partager une vision et des objectifs communs. J’adore que les gens autour de la table soient différents, c’est toujours intéressant de voir les personnalités sortir derrière les idées.
Propos recueillis par Pauline Bettonville