Sensibiliser les jeunes, créer et mettre en place des projets, former des pairs éducateurs et j’en passe… C’est un travail de longue haleine ! C’est donc par téléphone que nous avons interviewé Céline Danhier, directrice de O’YES. Cet entretien téléphonique, initialement prévu pour 30 minutes, a duré plus de 2 heures. C’est ce qui arrive quand on échange avec une passionnée !
Jeunes & Libres : Qui est tu ? Quel est ton parcours scolaire et professionnel ?
Céline Danhier : Je m’appelle Céline et je suis la directrice de O’YES, anciennement appelée SIDA’SOS. J’ai fait des études en marketing à l’EPHEC puis un master en gestion d’entreprise à l’ICHEC.
J&L : Peux-tu donner trois mots qui te caractérisent ?
C. D. : Je suis quelqu’un de bienveillant, à l’écoute du personnel et de leurs besoins, leur bien-être est important pour moi. J’aime également mettre les gens ensemble et les mobiliser autour d’un projet commun. Je suis militante et je n’ai pas peur « de déplacer des montagnes » pour les causes qui m’importent.
J&L : Peux-tu nous dire une chose que les gens ne savent pas sur toi ?
C. D. : J’ai été braquée avec une amie par deux inconnus armés à Auderghem. Ils ont voulu voler nos sacs ainsi que la voiture qui appartenait à mon employeur. On a refusé de leur donner le véhicule et ils se sont enfuis avec nos sacs. Malheureusement pour nous, les clés de la voiture étaient dans mon sac à main. Aujourd’hui, je leur donnerais directement mon sac et les clefs.
J&L : Quelle est l’histoire de O’YES ? Pourquoi l’asbl existe-t-elle ?
C. D. : Lors de mes études, j’ai réalisé un mémoire sur des campagnes de prévention à destination des jeunes par rapport aux IST et au VIH, c’est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps, mon oncle était chef de pédiatrie pour les enfants vivant avec le VIH.
J’ai réalisé mon deuxième mémoire au sein des Responsible Young Drivers car je trouvais intéressant de travailler dans le secteur associatif. Suite à ce mémoire, j’ai été engagée en 2006 par l’association.
Chez les RYD, j’étais en charge du réseau de volontaires et par la suite des projets européens. Dans ce cadre, je devais, entre autres, comparer les meilleures pratiques de prévention sur différentes thématiques : alcool, drogues, sécurité routière et santé sexuelle. Cela m’a permis d’avoir une vision globale sur tout ce qui était fait au niveau de la prévention, du VIH, des IST et de la santé sexuelle ainsi que les différentes stratégies de prévention utilisées. Très rapidement, j’ai remarqué que l’éducation par les pairs était la meilleure pratique pour la sensibilisation à la santé sexuelle et que ça n’existait pas encore ou très peu en Belgique.
En parallèle, avec une amie de l’EPHEC, nous avions comme souhait de mettre sur pied un projet commun. Après plusieurs mois/années de réflexion et d’analyses, nous avons créé SIDA’SOS afin de sensibiliser les jeunes sur la santé sexuelle sur les campus.
J&L : Quelles démarches as-tu entreprises pour créer ton asbl et pourquoi t’es-tu orientée vers le secteur de la jeunesse ?
C. D. : Pour commencer, nous avons choisi un nom, « SIDA’SOS », rédigé les statuts et fait les démarches administratives pour créer l’association. Ensuite, nous avons réfléchi aux méthodes que nous souhaitions utiliser pour sensibiliser les jeunes. L’éducation par les pairs était une évidence ainsi que la création d’outils pédagogiques, le tout de façon fun et ludique. Nous nous sommes également beaucoup inspirées des pratiques de l’étranger.
Pendant six ans, nous avons travaillé chez moi, dans mon salon. Nous étions tous des volontaires motivés par la cause et avec une envie débordante de mobiliser les jeunes et de créer un réseau de volontaires. Par contre, il s’avérait très difficile de débloquer des fonds pour développer nos projets.
J’ai eu la chance de rencontrer une amie de ma maman qui travaillait dans le secteur de la Jeunesse. D’après elle, l’association respectait tous les critères pour être reconnue comme Organisation de Jeunesse. Nous avions déjà un volume d’activités conséquent car nous étions présents sur plusieurs régions et l’implication des jeunes était au cœur de l’asbl. Nous avons rentré un dossier et un an plus tard, nous étions reconnus en tant qu’Organisation de Jeunesse.
A partir de ce moment-là, tout a changé, nous avons pu compter sur le soutien de notre fédération. Nous avons également obtenu un subside structurel, ce qui nous a permis d’engager du personnel et d’envisager plus sereinement le futur.
J&L : Quelles sont les thématiques sur lesquelles vous travaillez ?
C. D. : Au départ, nous travaillions sur les IST et le VIH pour finalement nous orienter vers toutes les thématiques qui concernent l’EVRAS et la santé sexuelle. Selon nous, le bien-être global des jeunes dans leur santé, et leur santé sexuelle en particulier, est primordial.
Aujourd’hui, nous abordons des thématiques telles que le harcèlement, le consentement, le plaisir, la contraception, … Nous essayons de sensibiliser les jeunes avec des messages plus « positifs » quand la thématique le permet.
Notre priorité est de former les jeunes de 18 à 30 ans afin qu’ils deviennent des CRACS, qu’ils aient des informations de qualité, répondant à leurs attentes pour pouvoir prendre des décisions éclairées par rapport à leur santé sexuelle. Nous souhaitons également qu’ils puissent identifier les structures ressources qu’ils pourront solliciter par la suite.
J&L : Pourquoi avoir changé de nom ?
C. D. : L’asbl a fortement évolué et beaucoup de gens trouvaient que le nom SIDA’SOS ne correspondait plus du tout à ce que nous faisions sur le terrain. Effectivement, SIDA’SOS donnait l’impression que nous étions une association de patients alors que nous faisons de la prévention et la promotion de la santé sexuelle. Cela a entrainé un gros questionnement au sein de l’équipe, des volontaires, des administrateurs et des partenaires.
Nous souhaitions un nom plus positif et donc O’YES (Organization for Youth Education & Sexuality) est née pour les 10 ans de l’association. Nous sommes ravis de ce changement de nom qui nous correspond beaucoup plus.
J&L : Quelles sont les valeurs de O’YES que tu défends ?
C. D. : La bienveillance, le respect, l’écoute, l’inclusion, le travail communautaire et l’implication des jeunes dans nos projets sont des valeurs très importantes pour nous.
Nos projets doivent être le plus possible en adéquation avec les besoins des jeunes. Chaque année, ils sont remis en question, réévalués et réadaptés. Il faut être constamment en phase avec notre public cible qui évolue chaque année. Nous devons être novateurs et proposer une communication accessible et vulgarisée pour tout le monde. Nous devons également soutenir et défendre les combats de nos jeunes pour arriver à des changements parfois légaux mais nécessaires.
J&L : Peux-tu nous parler d’un projet coup de cœur depuis que tu es directrice ?
C. D. : J’adore tous les projets et il m’est difficile d’en choisir un.
Le projet HPV (Infections à papillomavirus humains), est un projet qui me tient particulièrement à cœur. Grâce à une mobilisation politique depuis 2017, nous avons obtenu pour tous les garçons de 12 à 18 ans inclus la gratuité et/ou le remboursement du vaccin contre les HPV. Il s’agissait d’une inégalité sociale de santé vu que les filles y avaient accès mais pas les garçons qui sont pourtant tout autant concernés. C’était un de nos grands combats et nous sommes fiers d’y être parvenus !
Un autre super projet qui a pris énormément d’ampleur, c’est notre chaîne YouTube intitulée « Moules Frites ». Ce projet a été conçu pendant la pandémie avec la volonté de donner la parole aux jeunes sur les réseaux sociaux. Il est complémentaire des actions qui sont menées sur le terrain et nous permet d’atteindre les jeunes hors des campus. Cette chaîne peut également être utilisée comme outil pédagogique par les professeurs, les parents, les grands-parents, pour installer un dialogue avec les jeunes. Même si le public cible de l’OJ est les 18-30 ans, c’est chouette de voir que l’on touche toutes les générations.
J&L : Qu’est-ce que c’est, pour toi, gérer une asbl ?
C. D. : Gérer une asbl, selon moi, c’est définir des objectifs prioritaires avec l’équipe, établir la direction à suivre dans les années futures et mettre en place les actions en fonction des problématiques identifiées par le public.
Nous devons avoir une stratégie à long terme, pensée par nos administrateurs, la direction, mais également avec l’équipe pour avoir un cap. En fonction de ce cap à suivre, nous devons trouver les financements pour pouvoir développer nos projets, nos actions et atteindre finalement nos objectifs. La remise en question pour pouvoir se réinventer en fonction de l’actualité, du retour des jeunes, de l’évaluation réalisée avec les parties-prenantes est également synonyme d’une bonne gestion d’asbl selon moi.
Pour conclure, le management d’équipe est primordial. En tant que directrice, à mes débuts, j’ai peut-être sous-estimé le recrutement. A l’heure actuelle, il m’est toujours aussi difficile de me séparer d’un membre de mon équipe. Si le recrutement a bien été peaufiné, il y a moins de risque de devoir se séparer d’un employé par la suite.
J&L : Comment t’es-tu formée au métier de manager ?
C. D. : J’ai suivi quelques cours sur le management lors de mes études sinon j’ai du apprendre à manager au fur et à mesure que l’asbl grandissait. Ce n’est pas facile de dégager du temps, en plus du travail au quotidien, pour se former au management. Fin septembre, avec les coordinatrices des pôles, nous avons justement suivi une formation sur la gestion d’équipe, c’était très constructif.
J&L : Quelle est la qualité principale pour être coordinateur d’uns association ?
C. D. : Forte de mon expérience, j’ai pu constater la difficulté pour les jeunes employés d’aller vers la direction. Il faut souvent faire le premier pas. C’est pourquoi, je m’assure que tout le monde se sente bien au sein de la structure, en discutant avec eux, en leur posant des questions.
J&L : Peux-tu présenter la structure de O’YES ?
C. D. : L’asbl est divisée en différents pôles. Chaque pôle est coordonné par une coordinatrice. Son rôle est de veiller au bon fonctionnement de celui-ci, des projets et au bien-être de son équipe.
Le pôle administratif est composé de la directrice et de deux personnes qui s’occupent de la comptabilité, de la gestion des subsides ainsi que de la gestion quotidienne de l’asbl.
Le pôle communication est également composé de quatre personnes qui gèrent les différents projets tels que le projet Moules frites, Go to Gyneco, HPV. Ils sont en charge de la conception de tous les visuels pour l’association, de la gestion des volontaires, des réseaux sociaux, du réseau de diffusion des campagnes sur les campus et des contacts presse.
Le pôle pédagogique est composé de cinq personnes. Ils s’occupent de la prévention et de la formation des pairs éducateurs en hautes écoles et universités, du projet de concertation local EVRAS, de la gestion des volontaires ainsi que de l’implication de la communauté sur les différents projets.
J&L : Quel est ton rôle au sein de la structure ?
C. D. : J’ai un rôle multitâche. Je m’occupe de la gestion du budget, de la mobilisation des partenaires et des politiques, de la représentation sectorielle, de la gestion des ressources humaines et de la stratégie générale de l’association. Je suis l’avancement de tous les projets ainsi que des nouvelles demandes (partenariats, suivis des étudiants, création de campagnes, création et prêt d’outils pédagogiques, …).
J&L : Comment s’organise la coordination de vos trois pôles de gestion ?
C. D. : La richesse de notre équipe, c’est la diversité et la complémentarité des profils. Les débats et les discussions avec l’équipe sont nombreux, diversifiés et intéressants. Tous les lundis, nous organisons des réunions de pôle, des réunions « one to one », des réunions direction/coordination et une réunion d’équipe. C’est important de se tenir informée des décisions qui ont été prises et de se mettre d’accord sur la communication à relayer aux employés. C’est important pour ne pas donner d’informations contradictoires à l’équipe.
J&L : Quelle est l’importance des volontaires dans les projets de O’YES ?
C. D. : Les bénévoles et les stagiaires représentent le cœur de l’association. Ils participent activement à la vie de l’asbl. Ils prennent part aux projets, à la création des outils pédagogiques et autres. C’est un peu comme une fourmilière.
Nous avons également des réunions « volontaires » une fois par mois, qui permettent d’échanger, de se rencontrer et de réfléchir ensemble aux différents projets. Chaque année, nous organisons un « Week-end des Volontaires » afin de tisser des liens et de créer une cohésion d’équipe. Il ne faut pas sous-estimer le temps que prend la gestion du réseau de volontaires, l’accompagnement, leur formation.
J&L : Quelles sont les contraintes auxquelles tu fais face au quotidien ?
C. D. : Le manque de subsides structurels et le délai de validation des appels à projets. Souvent, nous devons nous projeter budgétairement sur des suppositions. C’est compliqué d’avoir une stratégie concrète sur le long terme sans être sûr des financements.
J&L : Quels sont les défis à venir au sein de votre OJ ?
C. D. : La surcharge de travail vécue par les employés, due aux nombreux projets. Il nous faudra accepter de ne pas pouvoir répondre positivement à toutes les nouvelles demandes de projets.
J&L : Quel est ton horizon de gestion ? Comment projettes-tu ton management ?
C. D. : Sur le court et moyen terme, nous souhaitons continuer à nous former au management et à la gestion d’équipe avec les coordinatrices des pôles. Sur le long terme, idéalement, il nous faudrait agrandir l’équipe afin d’avoir une personne par projet. Cela représenterait quatre personnes supplémentaires. En parallèle, il faut continuer à pérenniser et renforcer l’existant afin de pouvoir accepter de nouvelles opportunités et des projets ambitieux pour le futur.
J&L : Comment géres-tu la multitude d’appels à projets ?
C. D. : En moyenne, nous répondons à une cinquantaine d’appels à projets par an. Vu le nombre conséquent, je n’hésite pas à demander de l’aide à mon équipe si besoin.
J&L : Comment est-ce que tu gères le quotidien ? Présente-nous une journée type ?
C. D. : Chez O’YES, il n’y a pas de journée type. A l’exception des lundis qui sont consacrés aux réunions d’équipe où l’on discute des priorités de la semaine et de la direction à prendre pour les différents pôles. Quotidiennement, je passe beaucoup de temps au téléphone pour débloquer des situations ou répondre aux urgences. Je me partage entre les tâches administratives, la rédaction des appels à projets, les réunions plus politiques, la représentation sectorielle, la réflexion autour des campagnes de communication et les prises de décision concernant tous les projets. Il y a également énormément d’imprévus auxquels je dois faire face souvent en lien avec l’actualité.
J&L : Quelles sont les dernières avancées législatives dans les matières sur lesquelles vous travaillez ?
C. D. : Les rebondissements politiques et législatifs ont un impact sur le quotidien de l’association. Comme évoqué plus haut, le projet HPV (Infections à papillomavirus humains) a mobilisé l’équipe pour créer une campagne de communication pour informer le public, les médecins, etc. Dernièrement, nous nous sommes également mobilisés suite à ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis, concernant l’IVG. Une autre avancée est la légalisation du travail du sexe.
Afin de communiquer directement avec le public sur les avancées législatives et politiques, nous avons créé une nouvelle capsule « Hot News » sur notre chaîne YouTube « Moules Frites ».
J&L : Quel est ton rapport avec la fédération ?
C. D. : La fédération est un soutien sur lequel nous pouvons compter au quotidien peu importe la demande. Ils nous soutiennent sur les projets, les actions, la compréhension du secteur, la rédaction des appels à projets, les démarches administratives, les formations . Nous pouvons également compter sur Jeunes & Libres pour nous rappeler les deadlines importantes pour notre structure.
J&L : Peux-tu nous parler des relations avec les autres OJ de Jeunes & Libres ?
C. D. : Malheureusement, le manque de temps nous empêche de plus échanger avec les autres OJ. Nous mobilisons beaucoup de partenaires dans le secteur mais qui travaillent sur les mêmes thématiques que nous.
Nous avons déjà pu mettre en place différents projets avec la FEL parce que nous partageons le même public cible et que nous nous mobilisons tous les deux sur les campus.
Deux fois par an, Jeunes & Libres organise les « Journées des Coordinateurs » qui nous permettent d’échanger avec les autres OJ.
J&L : O’YES déménage bientôt. Quels défis demande l’aménagement d’un bâtiment ?
C. D. : Fin d’année, nous déménagerons dans notre tout nouveau centre CECSI (Centre Evras Collaboratif et de Santé Inclusive). Le bâtiment rassemblera différentes structures associatives en lien avec notre thématique afin d’échanger, de co-construire et de créer un réseau d’experts orientés vers les jeunes et leur entourage. Ce sera un lieu accueillant, bienveillant et transdisciplinaire.
Pour ce projet, j’ai dû endosser le rôle de chef de chantier, c’est un nouveau défi pour moi.
Propos recueillis par Pauline Bettonville