
Depuis de nombreuses années, la question de la dévalorisation des filières professionnelles de l’enseignement secondaire refait surface de manière régulière.
Pourquoi ces filières n’attirent-elles que des élèves en fin de course dans les autres filières et qui ne trouvent qu’une voie de garage dans les filières professionnelles ? Les métiers manuels n’attirent-ils plus les jeunes ?
Pourtant, lors des derniers WorldSkills, le Mondial des Métiers, qui se tenaient au mois d’août passé en Russie, 5 jeunes talents belges se sont illustrés dans leurs domaines : hôtel réception, coiffure, ébénisterie, fashion technology et en cloud computing. En 2018, ce sont 10 jeunes belges qui ont décroché une médaille d’excellence et une médaille d’argent. Entourés de professionnels de leur domaine, issus de l’Ifapme ou d’écoles techniques, les compétiteurs profitent de l’événement pour pousser les aptitudes au maximum. Quant à leurs experts, ils analysent les concurrents, étudient leurs techniques et en retirent le meilleur pour pouvoir l’appliquer dans leur école ou leur centre de formation. C’est aussi l’occasion de découvrir des métiers, locaux ou juste innovants.
Et ne croyons pas que les filières techniques sont réservées aux seuls garçons comme on le laisse croire trop souvent. Si les garçons restent majoritaires, une tendance de fond ne cesse de grandir depuis quelques années. La part de filles augmente régulièrement, de 261 à plus de 350 entre 2015 et 2017 sur 17.000 élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles et elles représentent presque un tiers de l’effectif de l’équipe belge au WorldSkills. Preuve est faite qu’en Belgique, les métiers manuels peuvent être source d’excellence. Ils étaient 210 jeunes inscrits aux Startech’s Days de mars 2019, la finale du championnat de Belgique des métiers. Une finale qui a attiré beaucoup de responsables politiques, de l’enseignement, de la formation ou encore des patrons d’entreprise venus repérer des talents dans des métiers en pénurie.
Car oui, les métiers manuels sont en pénurie en Belgique francophone. La liste dressée par le FOREM en 2019 est longue, avec beaucoup de métiers du bâtiment, des travaux publics, du transport, de la mécanique, de l’industrie et de l’artisanat. L’explication souvent avancée pour expliquer la valorisation des métiers intellectuels par rapport aux métiers manuels seraient à trouver selon certains historiens et philosophes dans l’évolution de l’État et de la nécessité d’avoir des personnes instruites pour diriger. De même, on a souvent considéré, à la suite du sociologue Max Weber, que les pays anglo-saxons, de tradition protestante, avaient vu émerger une nouvelle représentation du travail, selon laquelle tout travail sert l’œuvre de Dieu et qu’il n’y a donc aucun « mauvais » travail. Cela, en contradiction avec la tradition catholique qui voit dans le travail l’expulsion d’Adam et Ève du paradis terrestre et donc de la souffrance. Depuis lors, cette explication a été fortement nuancée.
Toutefois, l’artisanat redevient de plus en plus au goût du jour et semble retrouvé de l’intérêt auprès du public. Instagram et Pinterest n’y sont pas étrangers, ainsi que l’authentique comme marque de qualité et le circuit court pour l’empreinte écologique minimale. Ainsi, si les métiers connus comme cuisinier, pâtissier, designer, modiste ou encore ébéniste, d’autres moins connus font leur (ré)apparition tels que mosaïste, vitrailliste et tailleur de pierre. Autant de métiers manuels qui se retrouvent petit à petit sous les la lumière des projecteurs et qui sont porteur d’avenir pour ceux qui décident de se lancer dans ces voies. Et il n’y a pas d’âge ni de période de sa vie pour se lancer.
Depuis une quinzaine années désormais, les organismes publics d’emploi et les associations de cadres constatent qu’une part de plus en plus importante de jeunes diplômés universitaires ou de grandes écoles se détournent de leur domaine de formation pour suivre des formations manuelles. Lassés par leur hiérarchie et par les jeux de pouvoir, en quête d’un travail « qui a du sens » ou tout simplement déçus par la réalité du domaine de travail, des jeunes diplômés en sciences politiques, en économie ou gestion entament des formations de bouchers, distillateurs, fleuristes ou bien boulangers-pâtissiers. Alors que la grosse majorité ont un emploi stable, bien rémunéré, ils font le grand saut et commence une nouvelle carrière depuis zéro. Ce processus de réorientation peut durer plusieurs années, amener des difficultés financières, temporelles et personnelles. De manière globale, les études récentes tendent à conclure que ceux qui ont franchi le pas se déclarent satisfaits de leur choix et fiers d’avoir réussi à surmonter les obstacles. La nouvelle génération n’a pas envie de s’épuiser moralement, de s’ennuyer ou de se retrouver à des postes inutiles tout en ayant des salaires attractifs. Elle a besoin de trouver un sens à ce qu’elle fait, à son travail et d’apporter quelque chose à la société.
Pour Jeunes & Libres, davantage d’OJ doivent aider les jeunes à trouver leur voie, les mettre en relation avec des professionnels qui pourront les accompagner ou tout simplement les amener à découvrir les métiers manuels, susciter des vocations. Cela passe par une diversification des activités, au moyen notamment d’appels à projets spécifiques, et par davantage de reconnaissances d’association travaillant sur cette thématique.
Au sein de Jeunes & Libres, la Besace asbl travaille à faire connaître toujours plus les métiers de l’artisanat auprès du jeune public grâce à son concours de la Vitrine de l’Artisan au cours duquel des artisans, jeunes et moins jeunes, voient leur travail et leurs réalisations mis à l’honneur. Reconnus par le public ainsi que par des institutions, comme le SPF Économie, le ministère des PME, des indépendants et de l’Agriculture, l’UCM, la Région wallonne ou encore la SOWALFIN, le concours est une formidable reconnaissance pour les participants. Mais le concours permet aussi de mettre en avant des artisans qui mêlent leur travail et les préoccupations sociétales. Ainsi, la prochaine édition aura pour thématique « La Vitrine de l’Artisan éthique et durable », avec des hommes et des femmes qui sont attentifs aux choix qu’ils et elles opèrent, notamment en utilisant des matériaux écologiques, recyclés, locaux, en transmettant des valeurs écoresponsables, en incluant la préservation de l’environnement dans leur travail quotidien et dans une réflexion pour l’avenir de leur métier.
Tout comme la Besace, Délipro Jeunesse a développé en 2018 le projet « The Artisan Jump » se présentant comme un marché de jeunes artisans à Charleroi. Ces derniers ont pu dévoiler leur savoir-faire devant un jury de professionnels lors du concours éponyme. Et afin de donner une visibilité supplémentaire au projet, Délipro Jeunesse avait fait appel au chef Julien Lapraille, révélé en 2014 lors de l’émission « Top Chef » et animateur sur la chaîne de télévision RTL-TVI.
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